La piĂšce de théùtre dâOlympe de Gouges Lâesclavage des Noirs ne semble pas ĂȘtre la meilleure base pour Ă©tudier son engagement et ses arguments en faveur de lâabolition de lâesclavage. Olympe de Gouges prĂ©sente cette piĂšce de 1783 comme la premiĂšre quâelle ait Ă©crite avec lâambition dâaffronter la scĂšne de la ComĂ©die française. Soit trois ans avant la parution du livre de J. P. Brissot sur le mĂȘme sujet, cinq ans avant la crĂ©ation de la SociĂ©tĂ© des Amis des Noirs. Cette forme de théùtre protestataire, qui sâaffirmera dans les piĂšces Ă venir et traitera de toutes les injustices Ă corriger dans la sociĂ©tĂ© de son Ă©poque, vaut surtout par son esprit dâavant-garde et son audace. Câest Ă propos de cette piĂšce quâelle fut menacĂ©e de mort et de lettre de cachet. Le style est empruntĂ© Ă celui de la mode de lâĂ©poque larmoyant et exotique, Ă la Bernardin de Saint-Pierre. Les modifications et les corrections, quâelle a multipliĂ©es jusquâĂ la version dĂ©finitive de 1792, confirment son insatisfaction. Le plaidoyer contre lâesclavage se brouille et se perd avec lâintervention dâune fille naturelle Ă la recherche de son pĂšre, en Ă©cho Ă lâoeuvre autobiographique quâelle Ă©crivait en mĂȘme temps, MĂ©moire de Madame de autres textes rendent plus justement compte de lâargumentation dâOlympe de Gouges contre lâesclavage. - Il sâagit, dans son intĂ©gralitĂ©, de RĂ©flexions sur les Hommes nĂšgres 1788 oĂč elle dit, en commençant, son Ă©motion de petite fille devant la violence dâun racisme Ă lâĂ©gard dâune "nĂ©gresse" sur le marchĂ© de Montauban, sa ville natale. - Câest, ensuite, le dernier chapitre de sa DĂ©claration des Droits de la Femme et de la Citoyenne de 1791, quâelle consacre Ă cette prĂ©occupation centrale dans sa pensĂ©e le sort des esclaves - huit ans aprĂšs de L'esclavage des Noirs. Lâabolition de lâesclavage est, pour elle, le premier acte de libĂ©ration nĂ©cessaire, qui conditionne lâavĂšnement de tous les autres droits Ă la libertĂ© et Ă lâĂ©galitĂ© entre tous les ĂȘtres humains. Y compris les Droits de la Femme qui, dans sa pensĂ©e, en sont lâune des DaĂ«lPrĂ©sidente de lâassociation des Ă©ditions Cocagne qui publie les Ćuvres complĂštes dâOlympe de Olivier Blanc prĂ©cise que, selon les papiers du Girondin Jean-Pierre Olympe de Gouges, faisait partie de la SociĂ©tĂ© des amis des Noirs, qui ne comptait que quelques femmes. FondĂ©e en 1787 Ă Londres, l'association des Amis des Noirs, eut une filiale française Ă compter du 19 fĂ©vrier 1788, grĂące Ă Brissot, "le premier Français Ă avoir voulu organiser la lutte contre l'esclavage" 1. Condorcet, l'abbĂ© GrĂ©goire, SiĂ©yĂšs, Mirabeau, La Fayette en Ă©taient membres Ă©galement. Son but Ă©tait l'abolition de la traite et la disparition progressive de l' souligne le courage de l'engagement d'Olympe de Gouges, "encore plus cĂ©lĂšbre par son patriotisme et son amour de la libertĂ© que par sa beautĂ© et plusieurs ouvrages Ă©crits parfois avec Ă©lĂ©gance, toujours avec une noble Ă©nergie [rien de plus juste, soit dit en passant]. Admise dans notre sociĂ©tĂ©, poursuit-il, les premiers essais de sa plume furent consacrĂ©s aux malheureux que tous nos efforts ne pouvaient arracher Ă l'esclavage. [...] Il y avait du courage chez Olympe de Gouges Ă plaider leur cause au moment oĂč le plus violent orage Ă©clatait contre leurs dĂ©fenseurs. 2" L'abbĂ© GrĂ©goire mentionne lui aussi la prĂ©sence d'Olympe de Gouges parmi les "hommes courageux qui ont plaidĂ© la cause des malheureux Noirs et sang-mĂȘlĂ©s." Courageuse en effet il fallait qu'elle fut car elle reçut des menaces de mort et faillit ĂȘtre embastillĂ© comme Brissot. Pour en savoir plus, je vous recommande la biographie que lui a consacrĂ© Olivier Blanc et qui se fonde sur une minutieuse enquĂȘte et un grand nombre de documents d' DuvergerExtrait de L'esclavage des Noirs premiĂšre version en 1783, version dĂ©finitive en 1792Zamor a tuĂ© l'homme de confiance de son maĂźtre l'amante de Zamor, Mirza, a rĂ©sistĂ© aux assauts de cet intendant, qui par sadisme a exigĂ© de Zamor qu'il supplicie Mirza. Zamor et Mirza se sont rĂ©fugiĂ©s sur une Ăźle dĂ©serte. Un bĂąteau fait naufrage. Zamor sauve Sophie, l'Ă©pouse de ValĂšre, qui est aussi, sans le savoir, la fille du gouverneur de la colonie, M. de Le peu que je sais, je te le dois, Zamor ; mais, dis-moi, pourquoi les EuropĂ©ens et les habitants ont-ils tant dâavantages sur nous, pauvres esclaves ? Ils sont cependant faits comme nous, nous sommes des hommes comme eux pourquoi donc une si grande diffĂ©rence de leur espĂšce Ă la nĂŽtre ?ZAMOR Cette diffĂ©rence est bien peu de chose ; elle nâexiste que dans la couleur ; mais les avantages quâils ont sur nous sont immenses. Lâart les a mis au-dessus de la nature lâinstruction en a fait des dieux et nous ne sommes que des hommes. Ils se servent de nous dans ces climats comme ils se servent des animaux dans les leurs. Ils sont venus dans ces contrĂ©es, se sont emparĂ© des terres, des fortunes, des naturels, des Ăźles et ces fiers ravisseurs des propriĂ©tĂ©s dâun peuple doux, et paisible dans ses foyers, firent couler tout le sang de leur nobles victimes, se partagĂšrent entre eux leurs dĂ©pouilles sanglantes, et nous ont faits esclaves pour rĂ©compense des richesses quâils nous ont ravies, et que nous leur conservons. Ce sont leurs propres champs quâils moissonnent, semĂ©s de cadavres dâhabitants, et ces moissons sont actuellement arrosĂ©es de nos sueurs et de nos larmes. La plupart de ces aĂźtres barbares nous traitent avec une cruautĂ© qui fait frĂ©mir la Nature. Notre espĂšce trop malheureuse sâest habituĂ©e Ă ces chĂątiments. Il se gardent bien de nous instruire. Si nos yeux venaient Ă sâouvrir, nous aurions horreur de lâĂ©tat oĂč ils nous ont rĂ©duits, et nous pourrions secouer un joug aussi cruel que honteux ; mais est-il en notre pouvoir de changer notre sort ? Lâhomme avili par lâesclavage a perdu toute son Ă©nergie, et les plus abrutis dâentre nous sont les moins malheureux. Jâai tĂ©moignĂ© toujours le mĂȘme zĂšle Ă mon maĂźtre ; mais je me suis bien gardĂ© de faire connaĂźtre ma façon de penser Ă mes camarades. Dieu ! DĂ©tourne le prĂ©sage qui menace encore ce climat, amollis le cĆur de nos tyrans, et rends Ă lâhomme le droit quâil a perdu dans le sein mĂȘme de la Que nous sommes Ă plaindre !ZAMOR Peut-ĂȘtre avant peu notre sort va changer. Une morale douce et consolante a fait tomber en Europe le voile de lâerreur. Les hommes Ă©clairĂ©s jettent sur nous des regards attendris nous leur devrons le retour de cette prĂ©cieuse libertĂ©, le premier trĂ©sor de lâhomme, et dont des ravisseurs cruels nous ont privĂ©s depuis si longtemps....VALĂRE Je nâai pas vu de plus jolie Vous vous moquez, je ne suis pas cependant la plus jolie ; mais, dites-moi, les Françaises sont-elles toutes aussi belles que vous ? Elles doivent lâĂȘtre, car es Français sont tous bons, et vous nâĂȘtes pas Non, les Français voient avec horreur lâesclavage. Plus libres un jour, ils sâoccuperont dâadoucir votre avec surprise Plus libres un jour ? Comment ? Est-ce que vous ne lâĂȘtes pas ?VALĂRE Nous sommes libres en apparence, mais nos fers nâen sont que plus pesants. Depuis plusieurs siĂšcles, les Français gĂ©missent sous le despotisme des ministres et des courtisans. Le pouvoir dâun seul maĂźtre est dans les mains de mille tyrans qui foulent son peuple. Ce peuple un jour brisera ses fers, et reprenant tous ses droits Ă©crits dans les lois de la Nature, apprendra aux tyrans ce que peut lâunion dâun peuple trop longtemps opprimĂ©, et Ă©clairĂ© par une saine philosophie*.MIRZA Oh, bon Dieu ! Il y a donc partout des hommes mĂ©chants !* Ce dialogue sur la libertĂ© en France Ă©dition de 1792 nâappartenait pas Ă la premiĂšre Ă©dition 1788....VALĂRE Quel crime avez-vous commis, lâun et lâautre ? Ah, je vois, vous ĂȘtes trop instruit pour un esclave, et votre Ă©ducation a sans doute coĂ»tĂ© cher Ă celui qui vous lâa monsieur, nâayez point sur moi les prĂ©jugĂ©s de vos semblables. Jâavais un maĂźtre qui mâĂ©tait cher, jâaurais sacrifiĂ© ma vie pour prolonger ses jours ; mais son intendant Ă©tait un monstre dont jâai purgĂ© la terre. Il aima Mirza ; mais son amour fut mĂ©prisĂ©. Il apprit quâelle me prĂ©fĂ©rait et, dans sa fureur, il me fit Ă©prouver des traitements affreux mais le plus terrible fut dâexiger de moi que je devinsse lâinstrument de sa vengeance contre ma chĂšre Mirza. Je rejetai avec horreur une pareille commission. IrritĂ© de ma dĂ©sobĂ©issance, il courut vers moi, l'Ă©pĂ©e nue ; jâĂ©vitai le coup quâil voulait me porter je le dĂ©sarmai et il tomba mort Ă mes pieds. Je nâeus que le temps dâenlever Mirza et de fuir avec elle dans une chaloupe. ...CORALINE, en courant Ă mes chers camarades, quelle mauvaise nouvelle je viens vous apprendre ! On assure quâon a entendu le canon et que Zamor et Mirza sont Allons donc, ce nâest pas possible, Coraline !BETZI Grand Dieu !CORALINE JâĂ©tais sur le port au moment quâon annonçait cette malheureuse nouvelle. Plusieurs colons attendaient avec impatience un navire quâon dĂ©couvrait dans le lointain. Il est enfin entrĂ© au port et aussitĂŽt tous les habitants lâont entourĂ© et moi, toute tremblante, je me suis enfuie. Pauvre Mirza ! Malheureux Zamor ! Nos tyrans ne leur feront pas Oh, je tâen rĂ©ponds bien! Ils seront bientĂŽt Sans ĂȘtre entendus ? Sans ĂȘtre jugĂ©s ?CORALINE JugĂ©s ! Il nous est dĂ©fendu dâĂȘtre innocents et de nous Quelle gĂ©nĂ©rositĂ© ! On nous vend, par dessus le marchĂ©, comme des Un commerce dâhommes ! Ă Ciel ! LâhumanitĂ© rĂ©pugneâŠAZOR Câest bien vrai mon pĂšre et moi avons Ă©tĂ© achetĂ©s Ă la cĂŽte de Bon, bon, mon pauvre Azor, va. Quel que soit notre dĂ©plorable sort, jâai un pressentiment que nous ne serons pas toujours dans les fers, et peut-ĂȘtre avant peuâŠAZOR Eh bien, quâest-ce que nous verrons ? Serons-nous maĂźtres Ă notre tour ?CORALINE Peut-ĂȘtre ; mais non, nous serions trop mĂ©chants. Tiens, pour ĂȘtre bons, il ne faut ĂȘtre ni maĂźtre, ni Ni maĂźtre, ni esclave ? Oh, oh ! Et que veux-tu donc que nous soyons ? Sais-tu, Coraline, que tu ne sais plus ce que tu dis, quoique nos camarades assurent que tu en sais plus que nous ?CORALINE Va, va, mon pauvre garçon, si tu savais ce que je sais ! Jâai lu dans un certain livre, que pour ĂȘtre heureux il ne fallait quâĂȘtre libre et bon cultivateur. Il ne nous manque que la libertĂ©. Quâon nous la donne, et tu verras quâil nây aura plus ni maĂźtres, ni esclaves !... DE SAINT-FRĂMONT Je nâai point le bonheur dâĂȘtre nĂ© dans vos climats ; mais quel empire nâont point ces malheureux sur les Ăąmes sensibles ! Ce nâest point votre faute si les mĆurs de votre pays vous ont familiarisĂ© avec ces traitements durs que vous exercez sans remords sur des hommes qui nâont dâautre dĂ©fense que leur timiditĂ© et dont les travaux, trop mal rĂ©compensĂ©s, accroissent notre fortune en augmentant notre autoritĂ© sur eux. Ils ont mille tyrans pour un. Les souverains rendent leurs peuples heureux ; tout citoyen est libre sous un bon maĂźtre, et dans ce pays dâesclavage, il faut ĂȘtre barbare malgrĂ© soi. Eh, comment puis-je mâempĂȘcher de me livrer Ă ces rĂ©flexions quand la voix de lâhumanitĂ© crie au fond de mon cĆur Sois bon et sensible aux cris des malheureux » ? Je sais que mon opinion doit vous dĂ©plaire lâEurope, cependant, prend soin de la justifier et jâose espĂ©rer quâavant peu il nây aura plus dâesclaves. Ă Louis, ĂŽ monarque adorĂ©, que ne puis-je en ce moment mettre sous tes yeux lâinnocence de ces proscrits ! En accordant leur grĂące, tu rendrais la libertĂ© Ă des hommes trop longtemps mĂ©connus. Mais nâimporte vous voulez un exemple, il se fera, quoique les Noirs assurent que Zamor est innocent....SOPHIE Sans le secours de Zamor, aussi intrĂ©pide quâhumain, je pĂ©rissais dans les flots. Je lui dois le bonheur de vous voir. Ce quâil a fait pour moi lui assure dans mon cĆur les droits de la nature ; mais ces droits ne me rendent point injuste, madame, et le tĂ©moignage quâils rendent Ă vos rares qualitĂ©s fait assez voir quâils ne sont point reprochables dâun crime prĂ©mĂ©ditĂ©. Quelle humanitĂ©, quel zĂšle Ă nous secourir ! Le sort qui les poursuit devrait leur inspirer la crainte plutĂŽt que la pitiĂ© ; mais, loin de se cacher, Zamor a affrontĂ© tous les pĂ©rils. Jugez, madame, si avec ces sentiments dâhumanitĂ©, un mortel peut ĂȘtre coupable ; son crime fut involontaire et câest faire justice que de lâabsoudre comme innocent....LE MAJOR, au juge VoilĂ , Monsieur, le fruit dâune trop grande sĂ©vĂ©ritĂ©LE JUGE Votre modĂ©ration perd aujourdâhui la MAJOR dites mieux ; elle le sauve, peut-ĂȘtre. Vous ne connaissez que vos lois cruelles et moi, je connais lâart de la guerre et lâhumanitĂ©. Ce ne sont point nos ennemis que nous combattons ; ce sont nos esclaves, ou plutĂŽt nos cultivateurs. Pour les rĂ©duire, il eĂ»t fallu, selon vous, les faire passer au fil de lâĂ©pĂ©e et, dans cette circonstance, une imprudence nous mĂšnerait sans doute plus loin que vous ne pensez....ZAMOR âŠmes chers amis Ă©coutez-moi Ă mon dernier moment. Je quitte la vie, je meurs innocent. Mais craignez de vous rendre coupables pour me dĂ©fendre craignez surtout cet esprit de faction, et ne vous livrez jamais Ă des excĂšs pour sortir de lâesclavage ; craignez de briser vos fers avec trop de violence ; attendez tout du temps et de la justice divine, remplacez-nous auprĂšs de M. le gouverneur, de sa respectable Ă©pouse. Payez-les par votre zĂšle et par votre attachement de tout ce que je leur dois. HĂ©las ! je ne puis mâacquitter envers eux. ChĂ©rissez ce bon maĂźtre, ce bon pĂšre, avec une tendresse filiale, comme je lâai toujours fait. Je mourrais content, si je pouvais croire du moins quâil me regrette !Extrait du Tome I des Ćuvres complĂštesDernier paragraphe de la DĂ©claration des Droits de la Femme et de la Citoyenne 1791Il Ă©tait bien nĂ©cessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-on, le dĂ©cret en faveur des hommes de couleur, dans nos Ăźles. Câest lĂ oĂč la nature frĂ©mit dâhorreur ; câest lĂ oĂč la raison et lâhumanitĂ© nâont pas encore touchĂ© les Ăąmes endurcies ; câest lĂ surtout oĂč la division et la discorde agitent leurs habitants. Il nâest pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires il y en a dans le sein mĂȘme de lâAssemblĂ©e nationale ils allument en Europe le feu qui doit embraser lâAmĂ©rique. Les colons prĂ©tendent rĂ©gner en despotes sur des hommes dont ils sont les pĂšres et les frĂšres ; et, mĂ©connaissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source jusque dans la plus petite teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent Notre sang circule dans leurs veines, mais nous le rĂ©pandrons tout, sâil le faut, pour assouvir notre cupiditĂ©, ou notre aveugle ambition ». Câest dans ces lieux les plus prĂšs de la nature que le pĂšre mĂ©connaĂźt le fils ; sourd aux cris du sang, il en Ă©touffe tous les charmes ; que peut-on espĂ©rer de la rĂ©sistance quâon lui oppose ? La contraindre avec violence, câest la rendre terrible ; la laisser encore dans les fers, câest acheminer toutes les calamitĂ©s vers lâAmĂ©rique. Une main divine semble rĂ©pandre partout lâapanage de lâhomme la libertĂ© ; la loi seule a le droit de rĂ©primer cette libertĂ©, si elle dĂ©gĂ©nĂšre en licence ; mais elle doit ĂȘtre Ă©gale pour tous, câest elle surtout qui doit raffermir lâAssemblĂ©e nationale dans son dĂ©cret, dictĂ© par la prudence et par la agir de mĂȘme pour lâĂtat de la France et se rendre aussi attentive sur les nouveaux abus, comme elle lâa Ă©tĂ© sur les anciens qui deviennent chaque jour plus effroyables ! Mon opinion serait encore de raccommoder le pouvoir exĂ©cutif avec le pouvoir lĂ©gislatif, car il semble que lâun est tout et que lâautre nâest rien ; dâoĂč naĂźtra, malheureusement peut-ĂȘtre, la perte de lâempire français2. Je considĂšre ces deux pouvoirs comme lâhomme et la femme qui doivent ĂȘtre unis, mais Ă©gaux en force et en vertu pour faire un bon sur les hommes nĂšgres 1788LâespĂšce dâhommes nĂšgres mâa toujours intĂ©ressĂ©e Ă son dĂ©plorable sort. Ă peine mes connaissances commençaient Ă se dĂ©velopper, et dans lâĂąge oĂč les enfants ne pensent pas, que lâaspect dâune NĂ©gresse que je vis pour la premiĂšre fois, me porta Ă rĂ©flĂ©chir, et Ă faire des questions sur sa que je pus interroger alors ne satisfirent point ma curiositĂ© et mon raisonnement. Ils traitaient ces gens-lĂ de brutes, dâĂȘtres que le Ciel avait maudits mais, en avançant en Ăąge, je vis clairement que câĂ©tait la force et le prĂ©jugĂ© qui les avaient condamnĂ©s Ă cet horrible esclavage, que la nature nây avait aucune part, et que lâinjuste et puissant intĂ©rĂȘt des Blancs avait tout depuis longtemps de cette vĂ©ritĂ© et de leur affreuse situation, je traitai leur histoire dans le premier sujet dramatique qui sortit de mon imaginationâŠRevenons Ă lâeffroyable sort des NĂšgres. Quand sâoccupera-t-on de le changer, ou du moins de lâadoucir ? Je ne connais rien Ă la politique des gouvernements ; mais ils sont justes, et jamais la loi naturelle ne sây fit mieux sentir. Ils portent un Ćil favorable sur tous les premiers abus. Lâhomme partout est Ă©gal. Les rois justes ne veulent point dâesclaves. Ils savent quâils ont des sujets soumis, et la France nâabandonnera pas des malheureux qui souffrent mille trĂ©pas pour un, depuis que lâintĂ©rĂȘt et lâambition ont Ă©tĂ© habiter les Ăźles les plus inconnues. Les EuropĂ©ens, avides de sang et de ce mĂ©tal que la cupiditĂ© a nommĂ© lâor, ont fait changer la nature dans ces climats heureux. Le pĂšre a mĂ©connu son enfant, le fils a sacrifiĂ© son pĂšre, les frĂšres se sont combattus, et les vaincus ont Ă©tĂ© vendus comme des bĆufs au marchĂ©. Que dis-je ? Câest devenu un commerce dans les quatre parties du commerce dâhommes !⊠Grand Dieu !⊠Et la nature ne frĂ©mit pas ! Sâils sont des animaux, ne le sommes-nous pas comme eux ? Et en quoi les Blancs diffĂšrent-ils de cette espĂšce ? Câest dans la couleur⊠Pourquoi la blonde fade ne veut-elle pas avoir la prĂ©fĂ©rence sur la brune qui tient du mulĂątre ? Cette sensation est aussi frappante que du nĂšgre au couleur de lâhomme est nuancĂ©e, comme dans tous les animaux que la nature a produits, ainsi que les plantes et les minĂ©raux. Pourquoi le jour ne le dispute-t-il pas Ă la nuit, le soleil Ă la lune, et les Ă©toiles au firmament ? Tout est variĂ©, et câest lĂ la beautĂ© de la nature. Pourquoi donc dĂ©truire son ouvrage ?Lâhomme nâest-il pas son plus beau chef-dâĆuvre ? LâOttoman fait bien des Blancs ce que nous faisons des NĂšgres nous le traitons cependant de barbare et dâhomme inhumain, et nous exerçons la mĂȘme cruautĂ© sur des hommes qui nâont aucune rĂ©sistance que leur quand cette soumission sâest une fois lassĂ©e, que produit le despotisme barbare des habitants des Ăźles et des Indes ? Des rĂ©voltes de toute espĂšce, des carnages que la puissance des troupes ne fait quâaugmenter, des empoisonnements, et tout ce que lâhomme peut faire quand une fois il est rĂ©voltĂ©. Nâest-il pas atroce aux EuropĂ©ens, qui ont acquis par leur industrie des habitations considĂ©rables, de faire rouer de coups, du matin au soir, ces infortunĂ©s qui nâen cultiveraient pas moins leurs champs fertiles, sâils avaient plus de libertĂ© et de douceur ?Leur sort nâest-il pas des plus cruels, leurs travaux assez pĂ©nibles, sans quâon exerce sur eux, pour la plus petite faute, les plus horribles chĂątiments ? On parle de changer leur sort, de proposer les moyens de lâadoucir, sans craindre que cette espĂšce dâhommes fasse un mauvais usage dâune libertĂ© entiĂšre ou nâentends rien Ă la politique. On augure quâune libertĂ© gĂ©nĂ©rale rendrait les hommes NĂšgres aussi essentiels que les Blancs quâaprĂšs les avoir laissĂ©s maĂźtres de leur sort, il le soient de leurs volontĂ©s ; quâils puissent Ă©lever leurs enfants auprĂšs dâeux. Ils seront plus exacts aux travaux, et plus zĂ©lĂ©s. Lâesprit de parti ne les tourmentera plus, le droit de sâĂ©lever comme les autres hommes les rendra plus sages et plus humains. Il nây aura plus Ă craindre de conspirations funestes. Ils seront les cultivateurs libres de leurs contrĂ©es, comme les laboureurs en Europe. Ils ne quitteront point leurs champs pour aller chez les nations libertĂ© des NĂšgres fera quelques dĂ©serteurs, mais beaucoup moins que les habitants des campagnes françaises. Ă peine les jeunes villageois ont obtenu lâĂąge, la force et le courage, quâils sâacheminent vers la capitale pour y prendre le noble emploi de laquais ou de crocheteur il y a cent serviteurs pour une place, tandis que nos champs manquent de cultivateurs. Cette libertĂ© multiplie un nombre infini dâoisifs, de malheureux, enfin de mauvais sujets de toute espĂšce quâon mette une limite sage et salutaire Ă chaque peuple, câest lâart des souverains, et des Ătats rĂ©publicainsâŠĆuvres complĂštes, tome IV, p. 117-118Notes1. O. Blanc, Olympe de Gouges. Des droits de la femme Ă la guillotine, Tallandier, 2014, p. Ibid., p. 90-91.
1Soy.